Historique

esternay-historique

L’origine de la ville d’Esternay remonte à l’époque romaine. Le premier fort est vraisemblablement construit par JULES CÉSAR pour maintenir la soumission des peuples de la contrée et surveiller la voie romaine qui passe non loin de là, à Tréfols. Les romains placent ordinairement leurs forts sur des hauteurs, mais construisent celui-là dans un lieu bas, au milieu des marais du confluent du Grand Morin et du ru de la Noue, probablement sur pilotis. Ce type de construction constitue une défense contre les hommes et contre les bêtes sauvages. Des maisons se groupent autour du fort pour devenir un bourg que l’on nomme Sternacum.

On commence à appeler l’endroit Sternay quand apparaît la langue française.
Pour comprendre l’histoire d’Esternay, il faut d’abord situer à partir de quel moment l’édifice que l’on a sous les yeux existe en tant que tel.

Il existe en effet deux périodes :
• Celle de l’ancien château de style gothique, flanqué de tours demi-circulaires et entouré de fossés larges et profonds, qui se situerait actuellement en face de l’église.
• Celle du nouveau château, construit sur une colline à l’est d’Esternay, et que l’on nomme Château-Neuf ou Château de l’Armée. Il n’en reste malheureusement qu’une partie.

ESTERNAY ET LE CHÂTEAU-VIEUX

Esternay sort de l’obscurité au XIVème siècle, en 1378 plus précisément, lorsque la DAME EUSTACHE DE TRAINEL, dame du Châtel de Nangis et d’Esternay-en-Brie, se livre à quelques achats pour arrondir ses terres.
Sacré à Reims en 1380, CHARLES VI le Bien-aimé devient fou. Deux partis puissants se disputent alors la tutelle du roi. La France est ainsi divisée entre la faction des Orléanistes, ou Armagnacs, et celle des Bourguignons. ISABELLE DE BAVIÈRE, épouse perfide de CHARLES VI et mère indigne du dauphin CHARLES VII, soutient JEAN SANS PEUR, duc de Bourgogne et assassin du duc d’Orléans. Tous les deux commettent de nombreux attentats contre le dauphin et la maison d’Orléans. Profitant de la situation, les Anglais entrent en France sans difficulté. Durant cette période de troubles, la DAME D’ESTERNAY vend terres et château à ALEXANDRE LEBOURSIER, receveur général des aides pour guerres du malheureux roi fou. Nous sommes en 1408. Lorsque JEAN SANS PEUR est assassiné par les seigneurs entourant le dauphin, PHILIPPE LE BON, nouveau duc de Bourgogne, s’allie sans vergogne aux Anglais. ISABELLE DE BAVIÈRE conclut ainsi une paix honteuse avec eux, le 21 mai 1420 à Troyes.

HENRI V, roi d’Angleterre, épouse CATHERINE DE VALOIS, fille de CHARLES VI, et se fait reconnaître solennellement comme héritier de la couronne de France, au mépris de la loi salique et à l’exclusion du dauphin. De leur union naît un fils, qui n’a que 9 mois lorsqu’il est proclamé roi de France à la mort de Charles VI, en 1421.
En 1423, les Anglais s’avancent dans la Champagne et assiègent Sézanne. Ils établissent leur camp dans la forêt qui se trouve entre Sézanne et Esternay, forêt qui garde encore le nom de Bois de l’Armée. ALEXANDRE LEBOURSIER avait fait restaurer son château pour le rendre plus fort, mais celui-ci tombe rapidement aux mains des Anglais. Henri V confisque la terre pour la donner à un Bourguignon, HUGHES DE SAUBERTIER.

JEANNE D’ARC chasse les Anglais hors de France, et en 1444, JEAN, le fils d’ALEXANDRE LEBOURSIER, récupère la terre d’Esternay. Seigneur d’Esternay et Réveillon, on l’appelle plus simplement « Sternay », du nom de son fief. Jean Leboursier est un homme de confiance de LOUIS XI, le fils de CHARLES VII devenu roi en 1461. Il guerroie auprès de lui contre les Anglais, les Armagnacs et les Bourguignons pour l’unité de la France. Mais il abuse de cette confiance et en profite pour s’enrichir : en effet, LOUIS XI avait donné à contre-coeur la Normandie en apanage à son jeune frère, et JEAN LEBOURSIER obtient des fonctions de fermier-général dans cette région. Etant donné qu’il avait administré les finances du roi avec beaucoup d’efficacité, LOUIS XI fut très vexé de cette désertion. Lorsque, regrettant la concession qu’il avait faite à son frère, le roi s’avance avec une armée pour reprendre la Normandie, JEAN LEBOURSIER
tente de se réfugier en Flandre, déguisé en moine cordelier. Il est arrêté à quelques lieues de Rouen, démasqué, et conduit devant LOUIS XI qui le fait exécuter selon le cruel usage de l’époque : cousu dans un sac et noyé, en l’occurrence dans l’Eure, rivière qui arrose Louviers. Cependant, ce roi très croyant et superstitieux, a des remords. Il fait repêcher JEAN LEBOURSIER pour lui donner des funérailles religieuses et le faire enterrer dans l’église de Louviers où l’on peut lire sur sa pierre tombale : « Ci-gît Sternay, seigneur d’Esternay, qui rendit de grands services au Royaume de France ».

Avant de partir pour la Normandie, JEAN LEBOURSIER avait pris ses précautions en cédant sa terre à MATHIEU BEAUVARLET, conseiller du roi, receveur général des finances, et maître de la chambre des comptes. Mais à sa mort, la terre d’Esternay est donnée à un favori du roi, LE CHEVALIER GUÉRIN LE GROING. BEAUVARLET dépossédé par GUÉRIN LE GROING, c’est sa fille, MARIE BEAUVARLET, qui récupère Esternay en 1483, après la mort de LOUIS XI et vingt années de litige entre son père et GUÉRIN LE GROING. Elle épouse en 1468 JEAN RAGUIER, seigneur d’Esternay, la Motte-Tilly et Soligny, baron de Payens, financier, trésorier des guerres de Normandie, maître en la chambre des comptes, conseiller et chambellan du roi Charles VIII, dont elle aura trois fils.

LE CHÂTEAU NEUF

LOUIS, l’aîné des trois frères RAGUIER, gentilhomme de la chambre du Roi, épouse CHARLOTTE DE DITENVILLE en 1496. JEAN est archidiacre de Sézanne, et GUILLAUME est abbé de Soligny et de Saint Michel de Tonnerre.

Ces personnages fortunés et proches de la Cour sont incités aux grands travaux par l’exemple royal. De plus, le mariage de leur sœur LOUISE avec Jean BRIÇONNET, trésorier général de Provence, puis président à la chambre des Comptes, fait d’elle la belle-sœur de CATHERINE BRIÇONNET (épouse de THOMAS BOHIER) qui fut l’âme de la construction du château de Chenonceau. Les trois frères jouissant d’un grand crédit à la cour, ils en profitent pour exécuter une entreprise qui demande la réunion de toutes leurs ressources. Il s’agit ni plus ni moins que de construire un nouveau château.

En effet, l’ancien château d’Esternay, situé dans un fond, n’est plus en mesure de contrer L’agression depuis l’invention de la poudre. Il est d’ailleurs très endommagé et devient trop gothique pour l’époque de la Renaissance. Toutes ces raisons décident les frères Raguier à l’abandonner et à en édifier un autre sur le coteau Nord-Est d’Esternay, vers la partie extrême du Bois de l’Armée, ce qui lui donnera le nom de château de l’Armée.

François 1er règne alors en France. S’appliquant à faire renaître les arts, les sciences et les lettres, il fait venir de nombreux artistes et bâtisseurs d’Italie, dont les frères Raguier, fidèles argentiers du Roi,  purent profiter : architectes et sculpteurs s’appliquent  à construire et orner une maison à la fois commode, élégante et forte. Le style gothique est définitivement banni et fait place à l’architecture grecque et à ses dieux fantastiques. La salamandre, emblème de François 1er, ainsi que d’autres animaux symboliques, ornent bon nombre de frontons. Mais si le style est celui de la première Renaissance, le parti est encore féodal. Il s’agit non seulement de défendre les habitants de la région, plus nombreux qu’aujourd’hui, mais aussi d’interdire l’accès de la capitale aux envahisseurs, toujours venus de l’Est.

En faisant le tour de la maison par le jardin, vous pouvez par l‘imagination reconstituer ce que fut cet édifice. Mais avant de décrire le château en lui-même, étudions la distribution extérieure.

A l’époque, on entrait par une grande et une petite porte dans une basse-cour entourée de murailles. Différents bâtiments, que l’on peut encore identifier pour partie,  se tenaient dans la basse-cour : logements du garde et du jardinier, étables, remises, et un pigeonnier contenant plus de deux mille cases. De la muraille d’enceinte ne reste aujourd’hui que le mur extérieur de la ferme et la tour d’entrée.

Pour la petite histoire, la fonction de courrier fait du pigeon un instrument de pouvoir. Cela explique en grande partie le privilège de colombier accordé aux nobles durant l’époque médiévale. Les messageries seigneuriales et royales monopolisent le droit de possession de colombier, s’attribuant ainsi l’avantage de déguster sa chair fine, et de profiter de son engrais naturel.

On entrait dans la haute-cour en traversant le pont levis, l’unique entrée du château. Celui-ci formait un carré parfait : deux corps-de-logis, deux ailes qui les unissent et quatre bastions comportant aux angles des tourelles de défense. A l’heure actuelle, l’arrière du château donne vue sur les ruines des deux derniers bastions : dans celui de droite on avait placé les pressoirs à cidre et à vin ; celui de gauche n’existe plus. Autrefois, ils dépassaient largement les corps-de-logis en hauteur et en largeur, étaient armés de meurtrières superposées les unes aux autres, et leurs angles étaient équipés de tourelles permettant à des mousquetaires de tirer sur les audacieux qui osaient attaquer le château. Même les caves étaient occupées par des servants d’armes à feu qui tiraient par ces meurtrières dont on voit encore les traces. Dans la haute-cour se trouvaient trois entrées principales donnant accès à chaque appartement des trois frères. Il n’en reste que deux, sur lesquelles on distingue les armes et les noms des Raguier, au milieu de fines sculptures Renaissance. La cour intérieure est toujours dotée d’un puits profond, probablement de la hauteur de la maison. Mais le pont en pierre qui conduit dans la cour n’existait pas (il fut construit en 1900). Les deux ailes abritaient la salle d’armes, la salle de réception, la chapelle, les appartements des propriétaires, et beaucoup d’autres pièces richement décorées. Dans le premier corps de logis, appelé aussi le commun ou le petit château, étaient les écuries et la salle des domestiques. Deux tours circulaires surmontées d’un toit conique sont garnies de meurtrières qui en défendent l’approche. Entouré de quatre fossés alimentés par les eaux pluviales et une petite source, le château était à l’abri des agressions. De cette imposante construction il ne reste malheureusement presque rien aujourd’hui, et ce qui était autrefois une écurie sert maintenant de salon.

Officiellement, la construction du «Château-Neuf» dura six ans et fut achevée en 1525. En fait, il fallut presque 30 ans, et les trois frères Raguier ne terminèrent pas ensemble l’entreprise commune. Jean se désiste en premier et fait don de sa part à son neveu, le fils de Louis, appelé Jean également. Louis meurt en 1539, et son épouse en 1548.

François 1er s’éteint en 1547. Son successeur, Henri II, règne jusqu’en 1559, et c’est Charles IX, son fils, qui monte sur le trône à l’âge de 10 ans. Sa mère, Catherine de Médicis, devient régente du royaume, et provoque les catastrophes les plus terribles par sa funeste politique.

En 1555, GUILLAUME RAGUIER fait don de sa part au jeune Jean, qui devient donc le seul propriétaire d’Esternay.

Le château n’a même peut-être jamais été complètement terminé car à l’époque des guerres de religion, un des Raguier se fit protestant et, avec une armée de Huguenots venus de l’Est, entreprit contre ses frères une bataille fratricide. En effet, depuis l’entrée en France du Calvinisme, les guerres de Religion font rage. Un des fils de Louis Raguier, ANTOINE RAGUIER, est un calviniste convaincu. Il réussit à implanter le protestantisme à Esternay et va même jusqu’à chasser son frère Jean du château, dont il fait une place d’armes. Lieutenant du prince de Condé qui s’est constitué chef du parti calviniste, il n’a de cesse que de répandre la terreur dans la région, qui fut littéralement dévastée. Pendant des années, Catholiques et Huguenots se déchirent, sans que l’un ou l’autre ne parvienne à affirmer sa supériorité. En 1569, HENRI III, duc d’Anjou, remporte la bataille de Jarnac et le prince de Condé y périt. ANTOINE RAGUIER subit le même sort. Après avoir abattu une partie de l’aile nord du château, les catholiques emportent la place et massacrent les huguenots. ANTOINE RAGUIER mourut les armes à la main. On enterra les morts dans la cour intérieure (de nombreux ossements furent d’ailleurs découverts au début du XIXè siècle, à l’occasion de la plantation des tilleuls). Bref, toute l’aile nord brûla ainsi qu’une partie de l’aile sud.

Le château d’Esternay est remis par les catholiques vainqueurs à la veuve de Jean Raguier, MARIE DE BÉTHUNE. Après la mort de son jeune fils Salomon en 1592, la terre d’Esternay tombe en quenouille, c’est-à-dire que sa soeur JUDITH en hérite. On la marie cependant à un puissant voisin, CLAUDE D’ANCIENVILLE, baron de Réveillon, à qui elle apporte Esternay en dot. Ce fut sous son influence qu’on se mit à réparer les désastres qu’ANTOINE RAGUIER avait causés. L’église d’Esternay fut partiellement reconstruite, notamment avec les débris de l’ancien château. Partiellement, car de nouveaux troubles agitèrent la France au XVIIè siècle.

La région d’Esternay fut encore une fois le lieu de batailles sanglantes. Un autre prince de Condé, mécontent de la régence de la reine Marie de Médicis – veuve d’Henri IV et mère de Louis XIII – avance dans la Champagne et dans la Brie, à la tête d’une armée de 10 000 hommes composée de Lorrains. Ses soldats, campés dans le bois de l’Armée,  font d’horribles dégâts. Ils n’auront pas Sézanne, mais Esternay et son voisin Châtillon-sur-Morin sont les plus touchés.

En 1638, c’est POMPÉE d’ANCIENVILLE, fils de JUDITH RAGUIER et de CLAUDE d’ANCIENVILLE, qui possède la terre d’Esternay. Il meurt en 1650. Esternay est alors vendu à CLAUDE DU BELLAY, qui le cède en 1651 à MICHEL LARCHER, conseiller du roi et président de la Cour des Comptes.

Nous sommes en 1652, sous la minorité de Louis XIV et la régence d’Anne d’Autriche. La fronde des Princes s’allume, les ducs de Lorraine et de Wurtemberg envoient les troupes au secours de ces seigneurs trop ambitieux. Pour se rendre au siège d’Etampes, ils traversent Sézanne, Esternay et Châtillon, qui seront pillés une deuxième fois à leur retour. MICHEL LARCHER, qui est homme à savoir compter, se déleste rapidement de ses autres propriétés pour se consacrer uniquement à Esternay, qu’il fait ériger en marquisat en 1653. Anobli par charge des Finances, puisque l’office de président en Cour des Comptes anoblissait de droit, il ne profite pourtant pas de ce nouveau titre car il meurt l’année suivante.

En 1655, ses enfants vendent Esternay quatre cents mille écus à celui qui sera le plus illustre de ses propriétaires: ABRAHAM DE FABERT. Né à Metz en1599, il entra à quatorze ans dans les gardes françaises.

Montant de degré en degré, il est nommé par Louis XIII gouverneur de Sedan en 1642. Il tient là une importante garnison, et reçoit le bâton de Maréchal de France en 1658. De surcroît Inspecteur des troupes de Champagne, il réside de fait assez peu dans son marquisat d’Esternay.

C’est un homme audacieux dans les combats et avide de dangers. Mais il est aussi extrêmement juste, et très religieux, ce qui n’empêche pas les rumeurs les plus absurdes de courir à son sujet. Comme il avait toujours échappé aux mille dangers auxquels il s’exposait sans cesse, et qu’il était parvenu par son seul génie aux plus hautes dignités militaires, ses ennemis racontèrent après sa mort qu’il s’entendait avec le diable, et qu’il revenait toutes les nuits se promener dans les caves du château et dans la grande salle du commun. Ces fables avaient été inventées par un jeune homme auquel le maréchal avait refusé une lieutenance. Elles se propagèrent avec rapidité. Ces contes ont fait frémir de nombreuses générations de villageois, et pratiquement tous les enfants qui ont dormi dans le château.

Le maréchal de Fabert avait deux fils et trois filles, mais à sa mort à Sedan en 1664, le domaine tombe de nouveau en quenouille. Il passe alors en de nombreuses mains, puis est finalement vendu par l’un de ses gendres au MARQUIS DE LAMBERT, lieutenant des armées du roi, en 1765. Il reste propriétaire pendant neuf ans.

En 1774, MONSIEUR DE SAINT-MARTIAL, baron d’Aurillac, entre en possession d’Esternay. Son fils, PIERRE-FRANÇOIS DE SAINT-MARTIAL, alors attaché à l’ambassade en Angleterre, prend goût aux châteaux modernes qui lui paraissent plus plaisants et plus commodes que son château d’Esternay. Il décide de le démolir en grande partie en 1786, et de le reconstruire à la moderne. C’est un homme d’esprit, mais il n’a pas le goût des beaux-arts. Il allait détruire un chef-d’oeuvre d’architecture et de sculpture, mais le travail avait été si bien fait que les ouvriers y peinaient avec peu de succès. Cependant, des événements de la plus haute importance allaient interrompre momentanément ce travail de démolition.

En 1789, la Révolution éclate en France. Le baron d’Aurillac est alors député aux Etats Généraux pour la province d’Auvergne. Détaché à Paris, il fait la connaissance de Marguerite de Dreux-Brézé, fille du maître de cérémonie de Louis XVI, qu’il épouse en 1791. C’est une des plus belles femmes de la Cour. Elle ne le suit pas lorsqu’il devient ambassadeur en Angleterre, et elle est forcée de s’éloigner d’Esternay. Par la suite, elle sera incarcérée, et remise en liberté après la mort de Robespierre.

Pendant la Révolution, le château n’est jamais devenu un bien public ou un bien national, car son propriétaire, en tant qu’ambassadeur de France à l’étranger, n’était pas considéré comme un émigré. Il y eut certes des pillages, chacun venant y chercher les pièces de bois, les pierres et les matériaux dont il avait besoin. Mais ce pillage n’avait cependant pas lieu de nuit car on était persuadé qu’on y rencontrerait le fantôme du maréchal de Fabert en compagnie du diable. On reconnaît cependant des pierres du château dans certaines maisons anciennes du village.

Après la Révolution, la baronne d’Aurillac évite donc la vente du château en faisant rayer son mari de la liste des émigrés. Le couple le récupère en piteux état en 1797, et doit vendre une partie de ses biens pour payer les dettes de l’émigration et les nécessaires réparations.

Le baron d’Aurillac ne comprenait guère l’architecture de la Renaissance, et une terrasse bien éclairée lui paraissait plus utile que d’antiques bastions. Il s’emploie donc à rénover le premier corps de logis, seule partie du château encore habitable. On y fait des appartements, on transforme l’écurie en salon, et on construit deux étages dans les greniers. Les magnifiques sculptures qui ornaient le château sont malheureusement détruites ou données, et les voûtes des caves sont démolies.

Le baron s’éteint en 1804, sans laisser de descendance. Son énergique épouse rachète alors à ses beaux-frères les parties de la terre d’Esternay qui leur revenaient. Elle y restera quarante années.

En 1814, la Champagne devient le dernier théâtre des batailles livrées par NAPOLÉON contre les Prussiens. Il arrive à Esternay avec une armée de 40 000 hommes et établit son quartier-général derrière le château. Le beau-frère de la baronne d’Aurillac, apprenant que l’Empereur doit passer la nuit dans le parc et que sa tente est déjà dressée, lui propose de dormir au château. NAPOLÉON accepte l’offre, et passe la nuit du 28 février dans le salon.

Le lendemain, il repousse les Prussiens, mais la victoire est de courte durée : peu après, Esternay est envahi et dévasté. Maltraité, dépouillé, MONSIEUR DE SAINT-MARTIAL est obligé de fuir dans le dénuement le plus complet. Quant au château, il est entièrement pillé. On n’y laisse ni meuble, ni porte.

La seconde invasion des alliés en France permet à Esternay de se relever de ses ruines, et la baronne d’Aurillac y prend une part active. On n’en finirait pas si l’on voulait détailler tout ce qu’elle fit comme travaux d’aménagements. C’est une grande perte pour les habitants d’Esternay lorsque cette bienfaitrice séteint en 1844, à l’âge de 80 ans. Comme elle n’avait pas d’enfant, elle avait instituée comme légataire universelle sa nièce, la MARQUISE AUGUSTE DE LA ROCHELAMBERT.

De 1832 à 1849, des épidémies de choléra déciment la population. En 1835, la mairie et l’école sont construites, et quelques années plus tard, les habitants d’Esternay se retrouvent dans un « Club Républicain ». En 1848, ils sont 1814 sur 2045 à voter pour LOUIS NAPOLÉON BONAPARTE lors des élections à la présidence de la République.

Si la guerre de 1870 épargne Esternay, en 1914, la ville se trouve au cœur même de la bataille de la Marne, et connaît des heures de gloire les 5, 6 et 7 septembre 1914. Le IXè corps de la première armée allemande, que commande VON KLÜCK, occupe le château et le parc depuis trois jours. Les troupes qui n’ont pas encore combattu font la fête dans le château après avoir vidé la cave de mon arrière grand-père. Les Français, qui ont reçu l’ordre de JOFFRE de ne pas reculer, se trouvent à 2 kilomètres au sud à Châtillon sur Morin. L’offensive a lieu le 6 septembre au matin, après une importante préparation d’artillerie. Le 73è régiment d’infanterie reçoit lordre de tirer à obus incendiaire sur le château, mais le LIEUTENANT LESAGE, qui connaissait mon arrière grand-père, désobéit aux ordres et se contente d’incendier une partie de la ferme, dans la matinée du 7. Les armées alliées assaillent en vain les occupants ; l’issue de la bataille est très sévère des deux côtés mais tout de même en faveur du MARÉCHAL FRANCHET d’ESPÉREY qui installe son quartier général au château. Par la suite, il devint un hôpital.

En 1940, les allemands n’y passèrent qu’une journée après avoir saisi un matériel énorme de canons, chars et munitions entreposés dans le Parc. Les aviateurs de la Luftwaffe bombardent Esternay ; les habitants fuient. L’occupation allemande durera de juin 1940 à août 1944. Le 27 août en effet, les Américains libèrent la cité, et c’est enfin la paix.

Après la libération, le château – comme celui de Montmirail – fut un lieu de repos pour les vaillants parachutistes du COLONEL BOURGOIN qui avait participé à la libération depuis la Bretagne. Pour l’anecdote, il avait perdu un bras – son surnom était « le manchot ».